la Colline inspirée

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vendredi 21 août 2015

l'Expertise définitive (???) florilège 1



l'Expertise définitive (???)
florilège 1


L’ouvrage analysé est tellement innovant, tellement riche, tellement foisonnant en sottises de tous ordres qu’il nous occupera longtemps.

Deux mois et plus, déjà, depuis notre dernier entretien : comme le temps passe ! Deux mois consacrés non pas à relire les trois livres opportunément publiés en 2012 pour accompagner l’ouverture du Muséoparc – leur modeste longueur n’en demanderait pas autant – mais à en relever les inexactitudes, les perfidies et les joyeusetés qu’il serait dommage de garder pour soi, tant elles donnent une excellente idée de la recherche telle qu’on la conçoit du côté d’Alise : surtout ne pas lire une ligne des écrits adverses, et s’empresser de les caricaturer.

L’un des trois ouvrages est signé du spécialiste de la guerre à Rome, Yann Le Bohec. Il s’intitule sobrement : Alésia, 52 avant J.-C. Mais le bandeau rouge de l’éditeur proclame : l’Expertise définitive. Et l’on s’en voudrait de manquer les révélations qu’il promet.

Alésia, vraiment ? Un succédané, plutôt, d’œuvres antérieures qui traitent de la guerre en général chez les Romains. Tout y passe : l’équipement, les raisons psychologiques d’une guerre, les causes de la désertion, la diplomatie, le goût de la gloire, la composition d’une armée comme les petits soucis d’hygiène. Alésia est saupoudrée par pincées.  

On a le regret de le dire : l’auteur a traité une question qu’il ne connaissait pas, avec une ironie pesante qui ne masque pas les lacunes, les confusions, les ignorances.

Nous diviserons ce florilège en deux parties : la première concernera les amusettes, bêtises et erreurs militaires générales, la seconde l’attaque menée contre la thèse Berthier. Ni dans un cas ni dans l’autre, on ne s’ennuiera.

Et d’abord, les joyeusetés générales, qu’on pourrait intituler : les perles d’un collier. Là où l’évidence règne sans conteste, l’auteur a l’art d’ajouter des précisions cocasses. D’où une naïveté partout répandue qui nuit beaucoup au sérieux de l’ouvrage. Nous nous bornerons à une énumération peut-être pas exhaustive, en tout cas éloquente.

« Jusqu’en 45, il [César] a parcouru l’ensemble du monde romain à cheval, ce qui est un exploit. » (p. 85) À pied, c’en serait un autre.

César pleure en voyant le buste d'Alexandre « qui, à 33 ans, était déjà célèbre et même mort. » (p. 21) C'est, en effet, une performance ! ... mais est-elle vraiment propre à susciter l'émulation ?

« César et Vercingétorix chevauchèrent beaucoup avant de se rencontrer sur un champ de bataille. » (p. 17) Pas tant que cela, à en croire César et le bon sens. Un mois et demi, de l’arrivée du proconsul en Gaule jusqu’à Avaricum. Mais si Vercingétorix avait servi avec César, comme le veut Dion Cassius, ils se rencontrèrent avant même de chevaucher !

« L’espérance de vie dans l’Antiquité romaine n’était que de quarante-cinq ans. À quarante ans, un homme passait pour un vieillard. » L’âge légal d’entrée au Sénat étant de quarante-six ans, doit-on croire que les Sénateurs étaient des morts en sursis ? Les centurions restèrent à l’armée pendant vingt-cinq, vingt-sept, jusqu’à quarante-huit ans [1], ce qui les amène à un âge canonique. Apparemment, ils étaient encore bons pour le service ! Chacun sait que les vétérans, triarii, constituaient l’élite, à laquelle on faisait appel dans les situations critiques : aurait-on confié le sort d’une bataille à des gens qui auraient eu un pied dans la tombe ? 

[Sur Vercingétorix] « On lui a consacré des statues, des tableaux, il a laissé son nom à des rues, notamment à Paris. » (p. 65) Une seule, dans le XIVème. C’est un privilège qu’il partage avec… pas mal de gens !

« La montagne de Flavigny, qui tire son nom d’une agglomération actuellement réputée pour ses bonbons à l’anis. » (p. 117)  Voilà qui est d’un intérêt puissant pour l’histoire qui nous occupe !

« Qu'Alésia se soit trouvée à l'est ou à l'ouest de la Saône ne lui apportait rien. Alors, pourquoi aurait-il menti sur ce sujet ? » (p. 15) Il n'a pas menti, puisqu'il n'en a rien dit nulle part ! S'il l'avait dit, cela réglait la question.

On apprend que la Blitzkrieg = la celeritas, la rapidité, est « une valeur caractéristique de tous les généraux romains ». (p. 70) En bon mauvais esprit, on pense tout de suite au meilleur exemple qui soit : Fabius Cunctator, celui qui « prenait son temps », contre Hannibal.

« Chaque soir, les légionnaires construisaient un camp de marche ; chaque matin, ils le détruisaient. » (p. 40 ; p. 47) S’ils le construisent le soir, c'est plutôt un camp d'arrêt ! on parle généralement d’un « camp d’étape ». 

Apprécions l’ordre de marche des légions : « S'il y avait lieu de craindre une attaque inattendue, les hommes étaient disposés en ordre de bataille. » (p. 47) Et réfléchissons : Si l’on adopte l'ordre de bataille, c'est bien parce qu'on s'attend à une attaque, elle n'est donc pas « inattendue ». Et comme une attaque est susceptible de se produire n'importe quand, cela sous-entend que les Romains marchaient toujours en ordre de bataille !

« César accepta la rencontre », à propos de l’embuscade de cavalerie. (p. 77) Que pouvait-il faire d’autre ? A-t-on le choix quand son avant-garde est attaquée sur trois fronts ?

« Ils chassèrent les Gaulois d’une colline dont ils s’emparèrent. De là, ils prirent leur élan, descendirent vers une rivière… » (p. 77) En principe, on prend son élan pour monter, pas pour descendre. Il est vrai que les Alisiens trouvent normal que les Gaulois « escaladent les abrupts » (VII, 86)  pour attaquer un camp en bas du Réa…

« César, qui ne connaissait que l’heure solaire, parle de midi. » (p. 165)  Surtout dans la journée, pourquoi irait-il mentionner une heure de nuit ? Et l’auteur, plus loin, persiste et signe : « Les légionnaires, l’épée à la main, commencèrent le massacre qui dura jusqu’au milieu de la nuit (en temps solaire ; on constate là, une fois de plus, que les Romains ne redoutaient pas le combat de nuit, même si ce n’était pas ce qu’ils préféraient. » (p. 168) 

Autre question de temps : le temps qu’il fait. « César agit contre toute tradition en attaquant par une pluie battante. » (p. 72)  Certes, les Romains regardaient le ciel avant une bataille ; mais pour y découvrir les augures, pas la météo ! À moins que la formule : « les augures observent le ciel » ne signifie qu’ils essayent de savoir si la pluie viendra… Le Parapluie de l’escouade serait-il un lointain héritier du parapluie du légionnaire ?

On veut croire que d’autres considérations plus importantes passaient avant la pluie lorsqu’on devait se battre. Un tel scrupule se rapprocherait du fameux « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » et moins sérieusement, de tel Astérix où, chez les Bretons, César attaque, shoking ! à l’heure du five o’clock tea…


On avait lu déjà [2] que les 15 000 cavaliers envoyés chercher l’armée de secours avaient traversé la grande plaine sans faire même ouvrir un œil aux sentinelles romaines qui devaient dormir comme des loirs. D’autres – et heureusement ! – ne dorment pas quand on vient les quérir pour aller épauler les Romains en péril. « Des soldats qui attendaient dans les fortins, où, sans doute, ils ne dormaient plus, furent alors sollicités. » (p. 153) Et s’ils dormaient, les a-t-on au moins réveillés ? Mais l’essentiel est de nous apprendre que, quand ils partirent, ils ne dormaient pas debout.

Les trois obsessions de Y. Le Bohec dans ses premiers chapitres sont que César cherchait à tout prix une « grande guerre », que c’était un « grand menteur », et qu’il voulait imiter Alexandre. Ces formules sont répétées de page en page avec, comme l’eût dit San-Antonio : « la constance du rasoir ». La grande guerre est évoquée p. 21, p. 26, p. 29, p. 30, p. 31, p. 188 bis ; on rencontre Alexandre p. 49, p. 55, p. 55 bis, p. 56, et cette manie entraîne à des affirmations saugrenues, telle : « Donc, nouvel Alexandre, il se rendit en Germanie ». (p. 55) Le conquérant macédonien en Germanie… Voilà un scoop ! J'ignorais jusque-là qu'Alexandre y eût mis les pieds.

Il ne fait pas qu’arpenter des terres improbables, Alexandre, il plonge ! Après qu'un porte-enseigne a eu donné l'exemple en sautant à l'eau (p. 56) lors du débarquement en Bretagne, on lit : « Dans ce cas, César se conduisait toujours comme un émule d'Alexandre et, en outre, il prouvait que Neptune le protégeait. » Mais qui a plongé ? Ni César, ni Alexandre, mais le signifer de la Xème légion… Alors, que vient faire ici le général romain, que vient faire Alexandre ?

Complétons notre éducation : « D’autres formes de combat étaient connues des Romains : la bataille en milieu urbain, la bataille navale. » (p. 48) … À moins qu’Alésia ne soit en rade de Brest ou de Toulon, ce genre de considération ne nous éclaire pas beaucoup sur son emplacement.

César s’attarde sur la construction d’un pont sur le Rhin : « Il insiste sur ces travaux : d’une part, il était grand pontife, or les philologues de l’époque liaient « pont » et « pontife ». D’autre part, le Rhin était un dieu (comme tous les grands fleuves de l’Antiquité) et il ne pouvait pas s’opposer au passage d’un protégé de Vénus. » (p. 56) Il nous semble à nous, êtres simples, que s’il jette un pont sur le Rhin c’est tout bonnement pour le traverser, et que s’il le décrit c’est parce qu’il s’agissait d’un obstacle autrement plus important que d’autres barrières d’eau. Ensuite, que tous les généraux de Rome qui firent construire des ponts au cours de leurs opérations militaires n’étaient pas forcément grands pontifes. Enfin, qu’il est inutile de faire appel à A. Grandazzi [3] pour établir le rapport entre « pont » et « pontife », il traîne dans tous les manuels d’institutions, de religion et d’histoire romaines !  

Solide jugement moral ou simple naïveté, p. 168 ? « La bataille avait duré douze heures, ce qui était long. Puis, les cavaliers se mirent à la poursuite des fuyards, les tuant, les frappant dans le dos, ce qui était normal car des hommes qui se dérobent ne méritent rien d’autre que le mépris ». On ironiserait en ajoutant : « et un bon coup d’épée en prime »… Mais surtout : mépris ou pas, comment, étant derrière eux puisqu’ils les pourchassent, pourraient-ils les frapper par devant ?

Parmi les armes que les Gaulois connaissaient, on compte les pierres. Elles sont « souvent oubliées parce qu'elles ne sont pas bien repérables par les archéologues. » (p.38) En effet, les critères permettant de distinguer une pierre lancée en 52 av. J.-C. d'une pierre qui repose à sa place depuis l'âge de la… Pierre, justement, ne tombent pas sous le sens, et l'archéologie ne s'est pas encore souciée de les énoncer.

Quand on est Alisien, il faut avoir réponse à tout. Trop d’armes retrouvées à Alise ?
« Ils pouvaient les avoir achetés [il s’agit des armes, faute d’accord] à des marchands parce qu’ils les jugeaient efficaces et bien qu’elles aient été conçues pour des ennemis. » (p. 97)  Ne soyons pas sectaire ! Achetons romain ! Mais l'objection surgit : « il n’est pas souvent possible de dire si elles avaient appartenu aux Romains ou aux Gaulois »… Donc : achetons un poignard qui coupe, et peu importe sa nationalité !

Et les monnaies, retrouvées neuves alentour mais usées sur le mont Auxois où elles sont censées avoir été frappées : « Les monnaies sont trop neuves ou trop usées ? Les unes n'ont pas bougé, les autres ont été remuées par des charrues pendant des siècles ». Pareil génie de la déduction laisse coi. Mais on est à côté du problème ! Le vrai paradoxe est que les monnaies usées sont sur l’oppidum, là où elles devraient être neuves car venant d’être frappées, tandis que les usées devraient être plutôt dans la plaine, là où on labourait. Encore que l’usure d’une monnaie ne dépende pas des mouvements d’une charrue mais de la circulation monétaire. Y répondre comme eût répondu Monsieur de La Palice n’adoucit en rien notre légitime perplexité.

Autre point délicat : l'entassement d'armes vers le mont Réa. Mais il n'a rien d'étonnant : après un combat, on ramassait les armes « pour être fondues, remployées ou revendues ». Alors pourquoi a-t-on laissé sur place près d'un millier d'armes retrouvées intactes ? Pour garnir le musée de Saint-Germain ? L’on ferait la même remarque à propos des 700 et quelques monnaies retrouvées dans le même fossé, immédiatement réutilisables et pourtant négligées par les vainqueurs !

Tant pis pour patrie, honneur et discipline : le butin était, lit-on, « le premier moteur du légionnaire ». « Au matin de chaque bataille, le soldat espérait se trouver riche le soir. Bien entendu, il arrivait parfois qu’il fût tué. » (p. 159) Adieu, veaux, vaches, cochon, couvées…

Si la page 160 ne révèle pas grand chose sur Alésia, elle est proprement ineffable sur les découvertes qu’elle permet des realia de la guerre – auxquels on n’aurait jamais pensé. Entendue lors d’une conférence de l’auteur à Saint-Romain en Gal, la trouvaille nous avait déjà laissés pantois, mais cette fois-ci, elle est écrite. Figurez-vous qu’avant de se battre, les soldats ont peur. Surtout s’ils attendent l’ordre d’avancer : « L’immobilité favorise toutes les peurs ; les hommes urinent ou se souillent sans pouvoir se contrôler ; pour les Romains qui ne portaient qu’une tunique, une sorte de robe, l’inconvénient était moindre ». Inconvénient majeur, les braies de nos pauvres Gaulois, qui ne pouvaient se déculotter et devaient bien… Je nous épargne la suite, pas besoin d’être spécialiste en choses de la guerre pour avoir compris. Mais on peut s’attendre à tout de la part d’un peuple dont « les casques connus ont l'aspect d'un pot de chambre renversé ». (p 38)

Quant à la conclusion, elle jette une lumière nouvelle et fulgurante sur la guerre des Gaules : « Alésia, c’est une victoire de César et des Romains, une défaite de Vercingétorix et des Gaulois. Il y eut un autre siège avec batailles qui fut une défaite de César et des Romains, une victoire de Vercingétorix et des Gaulois : Gergovie. Mais cela, c’est une autre histoire ». Cent quatre-vingt dix pages pour en arriver là… Mais l’auteur est passé maître dans l’art d’énoncer l’inutile : « César a dû organiser plusieurs batailles, et ses adversaires ont su, en plusieurs occasions, le vaincre [4] ». Ah ! bon ? Plusieurs batailles, au cours de dix ans de guerre ? Ce « plusieurs » est aussi singulier, somme toute, que les trois cents victoires à lui attribuées par Plutarque.

Y. Le Bohec nous prendrait-il pour une classe d’école primaire, et encore pas bien douée ?

Comme le temps passe… et aussi l’espace ! Je m’avise que je n’ai pas encore abordé les erreurs historiques et d’institutions. Nous aurons donc trois parties et non deux. Pareille expertise les mérite amplement.

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Je remercie Maryse Hugon pour m’avoir « prêté » son livre. Elle ne l’a pas encore revu : son exemplaire est tellement surchargé de notes indignées que le texte originel est en passe de disparaître. J’en achetai un second pour le lui rendre. Et, sans y songer, le couvris de pareils graffiti vengeurs, le laissant dans le même piteux état. 
En achèterai-je un troisième ? Sans doute, non. S’étant ruinée pour la Cause, Maryse se consolera.

@ Danielle Porte






[1] D’après maintes inscriptions funéraires, cf. Dictionnaires Antiquités gr. & rom., de Daremberg (DAGR) p. 1058.
[2] J. Le Gall, Alésia, archéologie et histoire, 1963, p. 86 : Tout le monde dormait dans les lignes romaines, sauf les sentinelles qui ne s’aperçurent de rien ; à travers la seule brèche qui demeurait ouverte, probablement dans la plaine des Laumes, les cavaliers passèrent sans encombre et s’évanouirent dans la nuit ». Les Romains avaient vraiment le sommeil dur, pour ne pas entendre passer 15 000 cavaliers, et les sentinelles jouaient sûrement aux cartes.
[3] « Suggestion d'Alexandre Grandazzi dans une conférence ». Un peu désinvolte ! Alexandre Grandazzi n’a pas vraiment bouleversé nos connaissances par cette « suggestion » ; mieux vaudrait une référence précise : entre beaucoup d’autres, Varron, L.L., V, 15, 83, Denys d'Halicarnasse, Ant. rom., II, 73, 1, Tite-Live, I, 20, 5-7.  
[4] César, chef de guerre, p. 472.



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